Œnologue conseil, expert près la Cour d’appel d’Angers, professeur des Universités associé à l’ESTHUA (Institut National de Tourisme – Université d’Angers), responsable de la licence Professionnelle communication et valorisation des territoires – Parcours Œnotourisme (Saumur).
Jean Michel Monnier – portait par Sébastien Aubinaud, photographe. Extrait de leur livre « Le vin au fil des saison » aux éditions Ellipses.
On ne vous présente plus – vous êtes à la fois connu et reconnu comme œnologue en Anjou – mais pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous ?
Effectivement cela fait maintenant plus de 35 ans que j’exerce le métier d’œnologue conseil indépendant dans une grande partie de la vallée de la Loire auprès de 18 propriétés du vignoble de Nantes au début de la Touraine… Mon métier consiste à aider les vignerons.nes à élaborer les vins qu’ils souhaitent dans une logique d’expression de cépages ou de valorisation de leurs terroirs et territoire (AOP). Complémentairement à celui-ci je suis formateur dans de nombreuses écoles ou universités, mais aussi clubs œnophiles ou j’enseigne le « monde viticole » dans sa globalité de la technique au sensoriel. Mon poste le plus important est à l’université d’Angers et dans sa composante ESTHUA (devenue à la rentrée 2024 INNTO – Institut National de Tourisme). J’ai intégré l’ESTHUA en 1992 comme vacataire, guère plus âgé que les étudiants du magistère de Tourisme et hôtellerie, pour leur enseigner les vins à la demande de Michel Bonneau directeur fondateur et ancien Président de l’université d’Angers. J’ai toujours la chance d’y enseigner auprès d’une partie des 3500 étudiants répartis dans de nombreuses formations sur les Campus d’Angers, de Saumur et de Canton en Chine en tant que professeur des universités associé… Le titre et statut peuvent paraitre « ronflant » mais la passion est toujours là et j’espère communicative. Ma « dernière casquette » est celle d’expert pour la justice ayant prêté serment auprès de la cour d’Appel d’Angers, il y a plus de 10 ans… Mais je ne serais pas complet, si j’oubliais les nombreux ouvrages sur les vins et particulièrement de la Loire que j’ai écrit aux éditions Siloé, Ellipses et les presses universitaires de Chine – Donghua. « Le vin au fil des saisons – 1 an dans le costume d’un œnologue » (éditions Ellipses 2022) mon dernier ouvrage français illustré par Sébastien Aubinaud – photographe retrace parfaitement le travail sur une année des vignerons de l’Anjou et celui des œnologues conseils.
Pourquoi avoir choisi d’exercer ce métier (ou ces métiers !) en Anjou ?
Après des études à Paris, puis mon diplôme d’œnologue à Montpellier et de nombreuses escapades en Outre-mer et à l’étranger, je suis revenu en 1991 en Anjou, territoire qui m’a vu naitre pour exercer mon métier… sans jamais avoir eu l’impression de l’avoir quitté. Il faut dire que toute ma famille vit dans notre douce région ligérienne et que mon père 1er magistrat de la Ville d’Angers pendant 20 ans a su également me transmettre sa passion pour sa ville. L’obtention de mon diplôme d’œnologue me permettait d’exercer ce beau métier sur de nombreux territoires mais des rencontres durant mes études et stages avec des vignerons d’Anjou (Jacques Beaujeau, Christian Papin, Jean Yves Lebreton, Vincent Ogereau, René Renou, Jacques Boivin, Luc Delhumeau…), des œnologues et scientifiques (Didier Coutenceau, Christian Asselin…) et des passionnés comme Philippe Cauwel créateur du concours des vins rouges à Brissac-Quincé (puis maire de Brissac-Quincé ensuite) m’ont permis de connaitre, d’apprécier et vénérer en profondeur ce territoire viticole… moi qui n’était pas issu de ce milieu. Le vin est fédérateur de rencontres et de belles amitiés, et aujourd’hui je n’ai aucun regret d’être resté en Anjou, bien au contraire, je m’épanouis totalement dans mon métier, peut-être trop parfois… car cela peut être chronophage et certainement envahissant pour ma propre famille.
On parle beaucoup du chenin, pouvez-vous nous parler de ce cépage emblématique de l’Anjou et pour quelles raisons vous l’affectionnez ?
Le chenin est l’un des cépages roi de l’Anjou avec le cabernet franc que j’affectionne aussi particulièrement. Le cabernet franc nécessite beaucoup de technicité pour l’élaboration des vins rouges souples (Anjou rouge, Saumur rouge et Saumur-Champigny), aux rouges puissants et complexes (Anjou villages, Anjou Brissac et Saumur Puy Notre Dame). Il donne aussi de magnifiques Cabernet d’Anjou, nos vins rosés tendres élaborés depuis 1904 et aujourd’hui première AOP de la Loire… C’est ça aussi la force des vins de Loire, la production de vins faciles, gourmands et conviviaux aux vins complexes et racés : les grands crus !
C’est là que le magnifique chenin rentre en lice sous toutes ses facettes. Originaire de la Loire ce cépage emblématique, qui aujourd’hui a conquis le monde, nous livre :
– à tout juste maturité des « vins effervescents précis » aux fines bulles, aux arômes floraux de tilleul, de chèvrefeuille, de pamplemousses avant les notes briochées et de noisettes apportées par la méthode traditionnelle dans les appellations angevines Anjou mousseux, Crémant de Loire et Saumur fines bulles.
– avec une maturité de 12 à 13% vol, des « vins blancs secs printaniers joviaux et entrainants » aux arômes floraux et fruités de poires, de pèches, d’abricots, une pointe d’agrumes et une touche de citronnelle dans l’AOP Anjou blanc et parfois Savennières.
– plus mûrs issus de raisins bien jaunes gorgés de soleil, avec des degrés potentiels de 13 à 14,5% vol, des grands « vins blancs secs de race » qui respirent les fruits jaunes murs (abricots, mirabelles, pèches et coings) et souvent les notes vanillées, toastées de sa fermentation en barriques de chêne. On pourra les apprécier dans les appellations, Savennières, Anjou blanc et bien évidemment les futurs crus : Ronceray, Bonnes Blanches, Burnizellus, Princé…
– et pour terminer le chenin confit par le champignon microscopique (Botrytis cinérea) appelé pourriture noble, ou sous la chaleur du soleil (le passerillage) qui va dessécher le grain de raisin, donnera des vins blancs moelleux à liquoreux ! Ces nectars aux arômes d’abricots secs, de gelée de coings, de miel et parfois de pâte d’amandes représentent et subliment la véritable quintessence de notre cépage « roi ligérien ». Ils porteront les doux noms Coteaux de l’Aubance, Anjou Coteaux de la Loire, Coteaux du Layon, Coteaux du Layon Villages, Bonnezeaux, Chaume 1er cru, Quarts de Chaume grand cru…
Chenin B à maturité (12%vol)
Chenin B à belle maturité (14%vol)
Chenin B à surmaturité (18%vol)
Contrôle de maturité sur grolleau gris au Domaine de Pied Flond à Martigné-Briand avec Franck Gourdon en 2 CV… Crédit JM Monnier.
Parlez-nous des vignerons avec lesquels vous travaillez, du lien fort qui les unit aux terroirs et à la vigne, de leurs savoir-faire spécifiques…
Je travaille pour 18 propriétés de la Loire du vignoble de Nantes au début de la Touraine sur différents types de terroirs et surtout sur des modes de culture distinctes (Lutte Raisonnée, Biologique et Biodynamique). J’essaye avec chacun d’être eux de les aider à sublimer ce qu’ils désirent exprimer dans leurs vins qu’ils aient 12 hectares de vignes ou 200 hectares, qu’ils souhaitent valoriser un cépage (chenin, chardonnay, sauvignon, grolleau noir, pinot noir, gamay ou cabernet franc ou sauvignon, et maintenant les variétés résistantes : floréal, souvignier gris ou plantet noir), une appellation voire un terroir.
Comme aimait le rappeler Jacques Puisais : « le vin est bien la gueule de l’endroit et les tripes du vigneron ». Cette phrase un peu crue reflète bien l’esprit de la viticulture. Sans un cépage, une vigne dans un paysage, un sol et sous-sol façonné par un vigneron.ne il n’y aurait pas de vin typique, unique expression du caractère de sa créatrice ou créateur.
L’œnologue conseil n’est pas là pour uniformiser un gout mais bien pour révéler le tempérament et l’esprit de son géniteur. Mes liens sont donc forts avec les vignerons.nes avec qui je travaille pour certains depuis 1991. Il s’agit plus d’amis.es que de clients. Je les ai vu grandir en taille d’exploitation, peaufiner leurs vins, créer de nouvelles cuvées plus pointues ou répondant mieux aux attentes des consommateurs, être plus à l’écoute des préoccupations de leur personnel, mieux valoriser leurs terroirs, mettre en place l’agroforesterie, la biodiversité, s’essayer à la lutte raisonnée entre 1997 et 2010 puis à l’Agriculture Biologique et maintenant à la Biodynamie… j’ai pu en accompagner certains dans la mise en place de la valorisation touristique de leur exploitation et structurer leurs discours viticoles par l’œnotourisme.
Dégustation et création de cuvées de rosés au Domaine des Trottières à Thouarcé. Crédit JM Monnier.
Les vignobles du Layon et de l’Aubance : qu’évoquent-ils pour vous ?
De nombreuses choses souvent complémentaires et même parfois antinomiques… Les vignobles du Layon et de l’Aubance sont avant tout pour moi, des paysages majestueux reflets d’une géologie particulière du Massif armoricain avec une dominante de schistes : souvent bleu ou gris et parfois rouge… Mais surtout ils n’existeraient pas sans ses deux cours d’eau qui apportent les brumes matinales et ainsi permettent au Botrytis cinerea de parfaire sa pourriture noble et de confirent les baies de chenin blanc. On a aussi dans le vignoble du Layon, un climat très particulier plus méditerranéen qu’océanique avec une faible pluviométrie (550 mm en moyenne par an). Cela se ressent aussi dans les plantes et essences présentes notamment dans les coteaux caillouteux.
Ces deux vignobles sont aussi chargés d’histoire grâce à leurs monuments historiques (Château de Brissac, de Martigné-Briand, de Tigné…), leurs villages viticoles de charme (Aubigné-sur-Layon, Chaudefonds-sur-Layon, Rochefort-sur-Loire…), leurs plus gros bourgs commerçants (Thouarcé, Chalonnes-sur-Loire, Brissac…) Son musée du vin à Saint-Lambert-du-Lattay avec un petit pincement au cœur pour sa fermeture avec tous les moments privilégiés et soirées que j’ai pu y animer depuis 1991… Ces deux vignobles aux propriétés viticoles historiques (Château d’Avrillé, Domaine de Bablut, Château La Varière, Domaine de Gagnebert, Château de Fesles, Château Soucherie, Château de la Roulerie, Château de Bellevue, Château de l’Eperonnière…) attirent de nouveaux jeunes vignerons.nes avec de réels talents qui ont fait bouger le vignoble angevin… et nous ne sommes qu’au début d’une nouvelle ère, car des investisseurs sont aussi présents et apportent une belle notoriété au vignoble et un nouveau souffle.
Un vignoble ne serait pas complétement animé sans les professionnels du tourisme que vous êtes, et ces 2 zones ont la chance de vous avoir pour leur promotion mais aussi pour les fêtes et évènements viticoles que vous avez créées. Les vignerons du Layon et de l’Aubance ont également la chance de compter sur deux confréries viticoles fortes dont j’ai eu la chance et l’honneur d’y être intronisé : la Confrérie des Fins Gousiers d’Anjou et la Confrérie des Faiseux de Rillauds et des Vins de Brissac. Un territoire est aussi des femmes et des hommes qui en sont fiers et qui savent l’animer et le rendre attractif.
Quels sont vos lieux favoris en Loire Layon Aubance, ceux que vous recommanderiez ?
Quel plaisir de travailler dans cette magnifique région… on dit souvent que les habitants n’apprécient plus les beautés qu’ils côtoient. Pour ma part, je n’arrive pas à me lasser des paysages angevins et particulièrement ceux vallonnés de l’Aubance ou plus tourmentés du Layon ou des coteaux de la Loire. Citer des lieux, quel exercice compliqué tellement ils sont nombreux alors en voici pêle-mêle quelques-uns si nous partons d’Angers sur la route des vins « coteaux et panoramas du Layon » qui correspond plus au territoire de votre OT. Ma première halte sera pour l’appellation Savennières et particulièrement de la Croix Picot sur la commune de Bouchemaine, un lieu magique entretenu par Hervé Tijou, ce magnifique coteau pierreux qui plonge vers la Loire ne fait que de m’émerveiller le matin au lever du soleil dans la brume ou le soir au soleil chaleureux. Si j’apprécie particulièrement le village de Savennières et son ambiance, c’est un plaisir de traverser les 2 ponts de la Loire et de se retrouver à Rochefort dans ce village de charme et entrer dans le vignoble du Layon avec un petit coup de cœur pour le coteau de Piéguë qui fait face à celui de Savennières. On a apprécié la dualité des lieux et des vins. Si on continue sur la corniche angevine, j’adore faire découvrir à des œnophiles étrangers le chevalement de la mine des Malécots et sa table d’orientation, puis les moulins d’Ardenay que j’ai le plaisir de côtoyer intensément chaque millésime en arpentant avec Gaetan Dieusaert (Domaine l’Envolée – Chalonnes) ses vignes. On ne peut visiter le vignoble du Layon s’en s’arrêter au Pont Barré et d’apprécier les vignes sur les coteaux presque sauvages au pied du Layon. Les coteaux ils sont nombreux et beaux à apprécier sur Saint Lambert-du-Lattay aux bords de l’Hyrôme dans les parcelles entre autres de Pascal et Quentin Cailleau (Domaine Sauveroy), de Beaulieu-sur-Layon à Rablay notamment celle du Château de la Mulonnière aux pentes escarpées de Thouarcé sur l’appellation Bonnezeaux. On ne peut être qu’émerveillé en parcourant les vignes aux doux noms de Malabé, Beauregard, Melleresses du Domaine des Petits Quarts et admirer le Moulin de la Montagne ou le village de Thouarcé…
J’avoue avoir aussi un petit pincement au cœur lorsque je suis dans les vignes de Brissac face au château empreint d’histoire et d’une certaine quiétude. Plus doux les plateaux de l’Aubance comme celui du Domaine de Bois-Mozé à Coutures surplombant le Château de Montsabert respirent la sérénité, il ne reste plus qu’a se reposer tranquillement dans les cabanes de vignes qui aujourd’hui ne servent plus à déposer du matériel… mais souvent de lieux de piquenique et de nichoirs à oiseaux et chauve-souris pour la biodiversité. En rentrant, après les dégustations dans les propriétés viticoles je ne peux que vous engager à apprécier les moulins de la région en cours de rénovation (celui de Brissac-Quincé notamment) et de réaliser une « promenade digestive » dans les garennes ancien site des mines d’ardoise à ciel ouvert. S’il vous reste un petit moment arrêtez-vous au Domaine des 2 Moulins pour apprécier les vins de Daniel Macault et acheter quelques légumes bio du potager de la maison.
Les Malécots
et sa Table d’orientation sur la Corniche Angevine pour observer en toute quiétude le paysage. Crédit JM Monnier.